Saviez-vous que le « doudou » est censé être un objet transitionnel ?



(Première partie)

Sans  rentrer dans les subtilités théoriques, il faut tout de même savoir que le concept d’objet transitionnel (OT) développé dans la théorie de  Winnicott (1951-1953) continue d’être un objet de controverses.
Winnicott a décrit l’OT comme : «  ce petit bout de laine, ce coin de drap ou de couverture, ce bout de tissu que le petit enfant suce ou ne suce pas ». Mais l’objet transitionnel n’a pas besoin d’être réel. Il peut passer inaperçu. Ou bien il peut être constitué « par un mot, une mélodie, ou encore un geste habituel qui acquiert une importance vitale pour le petit enfant qui l’utilisera au moment de s’endormir » (Rabain, 2007).

Nécessité psychique pour certains psychologues et psychanalystes d’enfants, nécessité culturelle pour les praticiens de la petite enfance et les chercheurs transculturels. D’autres psychologues lui accordent une valeur fétiche exprimant une faille dans la construction psychique de l’enfant (Govindana & Louis, 2005).
Les résultats de la recherche de ces auteures chez le jeune enfant entre 12 et 24 mois confirment l’absence de caractère universel de cet OT et vont dans le sens de sa dimension culturelle ou individuelle. Ce n’est pas tant l’objet en lui-même que l’enfant recherche mais l’odeur qui imprègne celui-ci. D’après cette étude, c’est le style de maternage, avec le sens qui lui est conféré par la mère ou encore par la société dans laquelle est élevé l’enfant, qui introduit sa présence ou son absence. La preuve en est que le « doudou » est moins important voir inexistant dans certaines cultures.
Avant d’aborder les caractéristiques de cet objet, je tiens à rappeler que cet objet est sensé remplacer la mère pour faire simple.
Blondel (2004) évoque, entre autres, la notion essentielle d’objet créé et trouvé par l’enfant. Un objet qui « dégage l’enfant du besoin de la mère elle-même ».
L’auteure s’interroge  sur tous les « doudous » commercialisés et proposés, voire imposés comme tels à nos bébés modernes. Ces objets très souvent choisis par les parents, presque dès la naissance : adoptés par certains enfants, refusés par d’autres. Ces « doudous » peuvent aussi bien être donnés par les parents ou leur substitut, dès que l’enfant se montre en difficulté, qu’il le demande ou non, et bien souvent ils font cesser le malaise tel un fétiche.
Dans son article « Objet transitionnel et autres objets d’addiction », Marie-Pierre Blondel raconte : « Nicolas a 8 mois quand je le reçois en consultation avec sa mère. Il tombe, se fait mal en même temps qu’il a probablement eu peur. Pour toute réponse et sans un mot, sa mère lui tend un biberon de jus de fruit qu’il prend… et se calme ! ».
Une autre mère venait parce que son bébé de 6 mois, Adrien, restait accroché au sein et dormait dans son lit. « Au début, j’aimais ça mais maintenant, dans le lit, il bouge et je dors mal ; le sein aussi j’aimais ça mais maintenant il mord et ça me fait mal ». Dès qu’Adrien s’est manifesté pendant la consultation, sa mère lui a donné  automatiquement son sein qu’il a tout de suite pris et s’est rendormi. Alors que cette mère se plaignait de ne pas pouvoir retravailler faute de pouvoir le sevrer, quand elle trouva un mode de garde elle ne put assurer aucune progression dans ce changement passant ainsi d’une extrême proximité à une absence prolongée sans transition.
« Clothilde, petite fille de 2 ans, a un doudou, une grande souris blanche. Je dis un, mais non, ce sont trois doudous, trois souris blanches, exactement les mêmes. Clothilde a trois doudous clonés. Il y en a un qui est au placard, celui-là on n’en parle pas encore. Il y en a un qui reste à la maison, qui dort avec Clothilde la nuit, celui qu’elle va chercher parfois dans la journée dans lequel elle enfouit son visage pour sucer son pouce, c’est le doudou d’intérieur, lui, c’est le vrai. Il y en a un autre qui va à la crèche, qui vit sa vie avec l’enfant en dehors de la maison, lui, c’est le faux, celui qui peut être perdu, puisqu’il va dehors, à l’extérieur de la maison. Si, par mégarde, cela arrivait, le vrai serait toujours là et on sortirait l’autre clone du placard. S’il y avait encore une perte, pas de problème, le doudou souris blanche est tatoué. Un petit tour sur internet, sur le site des doudous perdus, et il n’y aurait aucune difficulté pour en retrouver un autre identique. (Mignon, 2006) »

« Les spectacles, ça fait rire, ça fait sourire et quelquefois ça fait pleurer et un enfant qui pleure, ça trouble, ça dérange. Que faire des frissons et des larmes des enfants ? « Un enfant ça entend dans le silence et ça pleure des diamants » chantait Jacques Brel, mais les pleurs des enfants, ça fait peur aux adultes. L’enfant devient mystérieux, et l’adulte est démuni parce que les mots peuvent lui manquer. On pourrait entendre aujourd’hui qu’il aurait fallu qu’Arthur vienne au spectacle avec son « doudou » pour éviter qu’il ne soit troublé par ce qu’il voyait, ce qu’il entendait, pour être « tranquille » ! Le doudou pour protéger les enfants de leurs émotions et non pas les aider à les vivre, le doudou pour protéger les adultes de leur manque de mots et non pas s’y confronter ! »  

Nous connaissons tous, avons vu ou entendu parler de pleurs de bébés qui n’auraient cessé qu’après récupération du « doudou » oublié, d’enfants qui se tournent vers leur « doudou » quand ils se font mal même en présence des parents. D’autres enfants ont si bien intégré le système qu’ils sont capables en voyant le copain souffrir d’aller chercher son « doudou » pour le consoler.
Nous sommes ici bien loin de l’objet transitionnel !

La suite, le mois prochain…

Michelle Jourdan
Consultante / Coach Parental

Pour aller plus loin :
Blondel Marie-Pierre, « Objet transitionnel et autres objets d’addiction », Revue française de psychanalyse, 2004/2 Vol. 68, p. 459-467. DOI : 10.3917/rfp.682.0459
Govindama Yolande et Louis Jacqueline, “Endormissement et fonction de l’objet transitionnel chez le jeune enfant entre 12 et 24 mois : une étude transculturelle », Devenir, 2005/4 Vol. 17, p. 323-345. DOI : 10.3917/dev.0323
Mignon Pascale , « Mais qui m'a piqué mon doudou ? » ,
La lettre de l'enfance et de l'adolescence, 2006/2 no 64, p. 33-38. DOI : 10.3917/lett.064.38
Rabain Jean-François , « Le doudou, ça n'existe pas » ,
Spirale, 2007/3 n° 43, p. 19-25. DOI : 10.3917/spi.043.0019
Et vous, doudou ou pas doudou ?